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InforiskEssor1000: Interview de Amine Diouri

1 juin 2018 Inforisk
Quel bilan tirez-vous du classement 2018? Les PME de notre classement Inforisk Essor 1000, que je qualifierai d’ETI (Entreprises de Tailles Intermédiaires) se portent bien, voire même très bien. Entre 2015 et 2016, leur chiffre d’affaires a progressé de 6,4%. A coté de cela, leur taux de marge nette est resté stable à 3,3%. Autre information importante, plus de 30% des PME du classement exportent, chiffre stable par rapport à l’année précédente, et qui est surtout largement supérieur à la moyenne des entreprises marocaines. Pour rappel, à peine 1% de nos entreprises exportent.En observant leurs délais de paiement, on constate un allongement de 4 jours des délais clients, qui s’établissent à 112 jours. A coté de cela, ces sociétés paient leurs fournisseurs à 127 jours en moyenne. Ce différentiel de délais (clients Vs fournisseurs) est favorable aux PME du classement IE1000.Autre constatation, la très forte croissance de leur endettement financier (+46%), en partie compensée par la hausse de leurs fonds propres (+26%). Résultat, le gearing a progressé de 6 points pour atteindre 38%, ce qui reste globalement un niveau d’endettement tout à fait acceptable.Dernier élément qui m’a le plus impressionné, l’ancienneté moyenne des entreprises du classement qui est de 26 ans. De plus, 45% des entreprises ont plus de 20 ans d’ancienneté ! Remarquable longévité de ces PME, qui démontre néanmoins le faible dynamisme de notre tissu économique. A titre d’illustration, à peine 4% de nos 1000 PME ont moins de 5 ans d’existence.Qui sont les bons élèves du classement InforiskEssor1000?Plus de 65% des entreprises du classement Inforisk Essor 1000 ont eu une croissance positive de leur chiffre d’affaires entre 2015 et 2016. On discerne 2 catégories d’entreprises avec des stratégies de développement différentes. D’un coté, les sociétés avec une croissance du CA très rapide, mais une marge nette faible. C’est le cas des sociétés ayant moins de 5 ans d’ancienneté, avec une croissance à 2 chiffres de leur CA et une rentabilité nette de seulement 1%. De l’autre coté, nous avons les PME de plus de 20 ans d’ancienneté, qui ont connues une croissance modérée de leur CA (+3,6%) mais une marge nette dépassant les 6%.Voilà plus de 10 ans qu’Inforisk brasse la data du tissu marocain d’entreprises. Pourriez-vous tracez le portrait de l’économie marocaine sur une décennie? Si on considère les années 2010, il y a je trouve un certain paradoxe sur l’évolution de notre économie: une croissance économique aux alentours de 3% annuels qui s’est ralentie par rapport à la décennie précédente, et avec moins d’emplois créés ces dernières années. A coté de cela, notre économie nationale est beaucoup mieux structurée, diversifiée autour de secteurs phares comme l’automobile, le tourisme, l’aéronautique… Je dirai même qu’il y a 2 univers d’entreprises qui se côtoient mais connaissent des évolutions complètement différentes : d’un coté, les entreprises des secteurs mondiaux du Maroc (particulièrement l’automobile), qui se portent bien, voient leurs chiffres d’affaires s’accroitre, recrutent… et de l’autre, les TPME, majoritaires en volume d’entreprises, fragiles et qui souffrent de maux pour l’heure incurables comme l’allongement des délais de paiement, une faible compétitivité, la difficulté à innover et à s’exporter.Concernant l’activité d’Inforisk, nous avons constaté durant cette décennie une évolution favorable en termes de qualité et de transparence de l’information des entreprises, auxquels nous avons fortement contribués. Tout cela a permis d’avoir aujourd’hui une information fiable sur les sociétés marocaines et de limiter les risques de contreparties.D’année en année, le nombre de sociétés défaillantes explose. En 2017, quelque 8.020 sociétés défaillantes ont été enregistrées, soit 12% par rapport à il une année auparavant. Un nouveau record. Que vous inspire un tel niveau de défaillance? Quels secteurs les plus affectées par ces faillites? Quelles sont les villes les plus concernées ? Effectivement, le nombre de défaillances d’entreprises a encore battu un record en 2017 avec plus de 8.000 défaillances (redressements et liquidations). Plus inquiétant encore, c’est que nous sommes dans une tendance longue : en moyenne sur les 8 dernières années, les défaillances ont augmenté de plus de 16% par an. Le Maroc est parmi les pires élèves au monde en matière de croissance des défaillances. Par ailleurs, nous savons que 95% des entreprises défaillantes sont des TPE, et que celles-ci sont les victimes de l’allongement des délais de paiement : il faut presque 10 mois pour qu’une TPE se fasse payer. Le lien entre retards de paiement et défaillances est prouvé : plus de 40% des défaillances sont dues à des retards de paiement. Concernant les secteurs les plus touchés, 3 secteurs représentent les 2 tiers des défaillances : commerce, immobilier et BTP. Les villes les plus touchées sont quant à elles Casablanca, Rabat et Marrakech.Vous ne cessez de martelez que le rallongement des délais de paiement est le plus gros obstacle au développement du tissu économique. Comment faire face à ces retards de paiement qui persistent?Je persiste et je signe. A l’heure actuelle, le rallongement des délais de paiement est le principal obstacle au développement de nos entreprises. Cette question des délais de paiement impacte directement la trésorerie de la majorité de nos entreprises, particulièrement des TPME. Si je devais établir une pyramide de Maslow pour les besoins primaires d’une entreprise et que je devais les hiérarchiser, arriverait en première position le financement de l’opérationnel, à savoir le BFR. Viendraient ensuite l’investissement productif, le recrutement, la R&D, l’export… Aujourd’hui, compte tenu des problématiques de retards de paiement, chaque dirham encaissé doit d’abord servir à payer son loyer et les salaires, acheter les matières premières… Il n’y a pas de place pour le développement.Maintenant comment résoudre ce problème ? Alors que la loi est entrée en vigueur depuis septembre dernier, elle n’est toujours applicable faute de la détermination de taux de pénalités. Faut-il pour autant rester passif et constater que les délais de paiements ainsi que son corollaire, les défaillances, continuent d’augmenter? Je suis contre le fatalisme. C’est pour cette raison qu’Inforisk organise régulièrement des conférences débats sur la problématique des impayés et explique concrètement aux chefs d’entreprises, quels process internes mettre en place, quelles bonnes pratiques et mécanismes appliquer, quels outils utiliser. De manière plus globale, il faut élargir les actions de sensibilisation auprès des chefs d’entreprises afin de les inciter à respecter la loi et de leur faire comprendre qu’en affaiblissant leurs fournisseurs, ils affaiblissent leurs propres entreprises. L’autre façon de voir les choses est la méthode française, où on est sur une application stricte de la loi, pour ne pas dire répressive avec des pénalités fortes (jusqu’à 2 millions d’euros) distribuées par un organe indépendant, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF). A coté de cela, en France, les mauvais payeurs sont publiquement montrés du doigt à travers un mécanisme « Le Name and Shame », liste de mauvais payeurs inscrite sur le site du Ministère de l’Economie.Votre dernière étude fait état d’une baisse des investissements émanant des sociétés privées marocaines. Quels sont les principaux chiffres ? Comment expliquer cela ? Comment relancer l’investissement privé au Maroc ?Les derniers chiffres sur l’investissement privé montrent une baisse globale de 8% des actifs immobilisés. Il est étonnant de constater que ce sont nos PME, plus particulièrement nos ETI, qui sont les plus dynamiques avec une croissance globale de 20% sur la période observée. Autre surprise, la décroissance de 9% de l’actif immobilisé des Grandes entreprises entre 2014 et 2016.Alors comment expliquer cette baisse des investissements ? Tout d’abord, certains secteurs ont surinvesti durant les années fastes : Immobilier, BTP, Transport, Communication, marqué par un volontarisme de l’Etat pour inciter les investissements dans ces secteurs. Aujourd’hui, il y a saturation de leurs outils productifs. Les entreprises de ces secteurs ne peuvent plus investir. Autre élément de réponse, le manque d’appétence de beaucoup de chefs d’entreprises pour l’investissement, qui représenterait un risque élevé et un retour sur investissement lent.Bien évidemment, la question du financement est également importante et explique beaucoup de choses. Or les chiffres de Bank Al Maghrib sont clairs : l’encours de crédit à l’équipement desservis uniquement aux sociétés non financières privées sur les années 2010-2016 montre une lente érosion des encours distribués aux sociétés privées pour financer l’investissement : -2,4% en moyenne par an. La légère reprise en 2016 ne suffit pas à masquer la tendance globale. Bien entendu, derrière la question du financement se pose la question encore plus majeure de l’accès au financement et des demandes de garanties. Car au final, très peu d’entreprises, notamment les TPME, accèdent au financement bancaire. La nouvelle loi très attendue sur les suretés mobilières devraient je l’espère répondre à cette problématique. Enfin d’autres facteurs peuvent être déclinés : baisse du CA consolidé de nos TPE, associée à une dégradation de leurs marges, la concurrence déloyale de l’informel. N’oublions pas encore une fois la question des délais de paiement. Elle impacte négativement la trésorerie de nos entreprises et les empêchent d’investir.Quelles sont les solutions pour relancer l’investissement privé ? Tout d’abord, créer un climat des affaires plus serein, en réglant une bonne fois pour toute la problématique des délais de paiement. En termes de mesures fiscales, je reprendrai les quelques mesures proposées dans le dernier PLF par la CGEM mais qui n’ont pas été adoptées : instauration d’un crédit d’impôt avec une réduction de l’IS de 20% du montant de l’investissement, instauration d’un crédit Impôt Recherche consistant en une réduction d’impôt de 30% du montant de la dépense en R&D au cours du dernier exercice, exonération de la plus-value sur la cession des immobilisations, réintroduction de la provision pour investissement. J’ajouterai la mesure proposée par les 2 candidats à la CGEM, à savoir l’exonération de TVA sur les biens d’équipements.Quels réflexes devrait adopter un dirigeant pour maintenir son entreprise en vie?Dans mon ancienne expérience de consultant, je préconisais un certain nombre de réflexes nécessaires. Tout d’abord, avoir une gouvernance claire et transparente. La vie d’une entreprise nécessite une prise de décision rapide reposant une organisation interne claire. Par ailleurs, l’entreprise doit avoir un cap, un positionnement et une stratégie de développement clairs, appuyée par des moyens financiers suffisants pour couvrir les besoins d’exploitation (gare à la mauvaise prise en compte du BFR) et les investissements nécessaires. Un conseil à ce stade, beaucoup de chefs d’entreprises rechigne à se faire accompagner par des conseils spécialisés, principalement pour une question de cout. Je pense que c’est une erreur. L’expertise de ces consultants peut permettre d’éviter des erreurs fatales et une dispersion des ressources financières de l’entreprise.Autre constatation : nombre de nos entreprises sont clairement sous-capitalisées en fonds propres. Je rappelle quand même que près de 50% des entreprises créées le sont avec moins de 10.000 dirhams de capital social, 85% avec moins de 100.000 dirhams. Or avec le problème récurrent des délais de paiement qui impacte directement la trésorerie de nos entreprises, particulièrement les plus fragiles, celles-ci n’ont aucun matelas de sécurité. Par ailleurs, cette sous-capitalisation impacte également la relation avec le banquier, qui sera beaucoup réticent à financer les besoins d’exploitation ou d’investissement de l’entreprise.J’aimerais avoir une idée sur l’évolution des marges nettes?La situation est contrastée selon la catégorie d’entreprises. La marge nette des TPE s’établit seulement à 0,8% en 2016, marge divisée par 2 en à peine 4 ans ! De l’autre, les PME voient leurs marges nettes stables entre 2013 et 2016, avec une rentabilité nette de 3,6%. La rentabilité des PME du classement est légèrement inférieure à la moyenne. Enfin, les grandes entreprises ont connu également une baisse de 2,6 points de leur taux de marge sur la période, passant de 9,7% à 7,1%.Les banques sont elles toujours distantes vis à vis des TPE ? D’un point de vue commercial, la TPE est devenue la nouvelle coqueluche des banques. Nombre de ces dernières communiquent sur les milliards de dirhams alloués en 2018 aux TPE. Il est vrai aussi que nos banques n’ont pas d’autres choix que de diversifier leur clientèle : elles sont trop dépendantes de leurs gros comptes. Et nous l’avons vu avec la faillite de la Samir, elles peuvent laisser une grosse ardoise dans les comptes des banques. Par ailleurs, il est logique que nos banques s’intéressent aux TPE : leur niveau de sinistralité n’est pas plus élevé que pour les autres cibles commerciales, et surtout il y a un effet volume important. Plus de 80% de nos 400.000 sociétés actives sont des TPE, sans compter les 900.000 entrepreneurs individuels. Cela représente un gisement gigantesque !
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