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Délais paiement: le fournisseur, banquier n°1 malgré lui

8 avr. 2016 Inforisk
Le chiffre est fort… Le crédit interentreprises pèse plus de 364 milliards de DH! Cela représente pratiquement 1,5 fois le montant total des prêts bancaires (244 milliards de DH). Le crédit commercial a même connu une accélération fulgurante depuis 2010. Sa croissance est 8 fois plus forte que celle des crédits bancaires court terme. «Une tendance qui reflète à elle seule toute la mesure de l’enjeu financier de la question des délais de paiement», alerte Amine Diouri, responsable des Etudes PME à l’observatoire Inforisk de l’entreprise.delais_de_paiment_047.jpgDans certains cas, le crédit interentreprises peut être considéré comme un facteur d’opportunité, lorsque celui-ci est consenti par les deux parties. «Pour les entreprises, le choix de ce crédit n’est pas anodin», soutient Hicham Alaoui Bensaid, directeur des engagements chez Euler Hermès ACMAR. Le premier banquier de l’entreprise est de facto le fournisseur.Pourquoi contracter un prêt bancaire qui coûte 6% par an, alors qu’il y a la possibilité de se financer «gratuitement» auprès de son partenaire commercial? «De toute façon, avec le resserrement du crédit bancaire, les entreprises ne disposent pas de beaucoup d’alternatives de financement en dehors des fonds propres», complète Diouri. Certes, mais le crédit interentreprises peut aussi se révéler un facteur de risque majeur pour le fournisseur, lorsqu’il est subi. Quand le manque de liquidités -dû aux retards d’encaissement- conduit l’entreprise à un dépôt de bilan, ses fournisseurs en attente d’un règlement subissent une perte qui peut les conduire à leur tour à la défaillance. Le risque est du coup transféré du client au fournisseur fragilisant ainsi toute la chaîne de valeur.
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Le premier banquier de l’entreprise n’est autre que le fournisseur. Avec plus de 364 milliards de DH, le crédit interentreprises représente pratiquement 1,5 fois le montant total des prêts bancaires (244 milliards de DH). Sa croissance est 8 fois plus forte que celle des crédits bancaires court terme entre 2010 et 2014
Selon Coface, le défaut de paiement est à l’origine de 40% des défaillances. Plus de 5.800 entreprises défaillantes ont été recensées au Maroc en 2015, soit une croissance de 15%. (cf. L’Economiste du 07/04/2016). Au-delà des statistiques, c’est la tendance qui est inquiétante. Le phénomène s’est amplifié depuis 2010 et l’espoir de le voir affaibli est quasi inexistant. «La loi sur les délais de paiements n’a pratiquement pas eu d’effet sur le comportement de paiement», relève le responsable d’Inforisk. Les délais de paiement ont continué à augmenter pour atteindre en moyenne 9,3 mois pour les TPE (contre 4,8 mois pour les PME et 2,7 mois pour les grandes entreprises). La TPE est la catégorie d’entreprises qui a le plus souffert du phénomène puisque les délais se sont dégradés de plus de 2 mois par rapport à 2010.

Constater la provision? Non merci

Pourquoi ne pas provisionner dans ces cas là? Dès que le recouvrement d’une créance apparaît litigieux ou qu’un défaut de paiement n’est pas à exclure, une provision pour dépréciation de créance est envisageable. Or, cette procédure ne semble pas séduire les entrepreneurs. Sur la forme, il faut que la provision soit régulièrement comptabilisée et que le montant des provisions soit mentionné sur le tableau des provisions à joindre à la déclaration des résultats de l’entreprise. De plus, la provision n’est pas déductible fiscalement. Pour ce faire, le fournisseur doit confronter son client devant le juge des impôts au risque de perdre un partenaire commercial. Il en va de l’image de l’entreprise, mais aussi, «avec l’effet domino, toute société qui détient des créances sur une autre peut elle-même faire l’objet de cette procédure», remarque Diouri. D’un autre côté, la provision peut accroître davantage le risque de non remboursement. «Si le client constate une provision sur les comptes de son fournisseur, il considère que celui-ci a déjà fait le deuil de sa créance et donc refuse de payer», remarque Alaoui Bensaid. Soit des produits en moins et des pertes en plus pour l’entreprise. De «faux bilans» font donc leur apparition auprès des entreprises qui font la course aux chiffres. Elles vont même jusqu’à gonfler leurs revenus pour couvrir les pertes liées au défaut de paiement. Mais faute de cash, la société s’embourbe dans un cercle vicieux où la solvabilité est intimement liée à la rentabilité. D’où la défaillance!

Sort fiscal des «indemnités» de retard

Malgré son entrée en vigueur en 2013, le texte s’est révélé difficile à mettre en œuvre. Il a fallu attendre la loi de Finances 2014 pour que le traitement fiscal et comptable soit clarifié. Et encore, la loi n’apporte pas toutes les réponses que se posent les entrepreneurs, les patrons de TPE et PME notamment. Or, la loi prévoit l’obligation pour les sociétés de fixer par écrit -avant la conclusion de toute transaction - les délais et les pénalités applicables en cas de retard de paiement. Cette disposition concerne  les entreprises privées, les personnes de droit privé délégataire de gestion d’un service public et les personnes morales de droit public. L’administration publique est exclue du champ de cette loi puisqu’elle est plutôt concernée par le décret sur les intérêts moratoires. Si le délai de paiement n’est pas convenu entre les deux parties, il ne devrait pas dépasser 60 jours à compter de la date de réception d’une marchandise ou de l’exécution d’une prestation de service. Le cas échéant, il peut être fixé, d’un commun accord, à 90 jours, mais pas au-delà. La pénalité de retard est fixée à 10% du montant de la facture. Un montant soumis à la TVA et qui entre dans la base de calcul de l’IS et de l’IR. Les pénalités de retard relèvent du droit public. Par conséquent, aucun fournisseur ne saurait y renoncer. Toute clause contraire figurant dans un contrat est donc nulle et non avenue.
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