La crise du Covid-19 impose plus que jamais aux chefs d’entreprise de se repenser. C’est tout le modèle d’affaires qu’il va falloir revoir, et pas seulement à la marge, prévient Johnny El Hachem, CEO de Edmond de Rothschild Private Equity. Ma conviction, ajoute-t-il, «est que les investisseurs devraient aller au-delà des critères ESG en affectant la même pondération à l’impact et à la résilience de leur projet que celle qu’ils affectent aux risques financiers».
- L’Economiste: En quoi la crise de la Covid-19 peut-elle impacter votre stratégie d’investissement?
- Johnny El Hachem: Non, elle ne va pas transformer notre vision. Au contraire, cette crise nous renforce plutôt dans nos convictions. Notre approche a toujours été de nous inscrire dans une démarche de résilience en pariant sur les entreprises qui assurent des services de proximité aux populations, des produits et services à fort impact qui améliorent la vie quotidienne des gens. Cette pandémie conforte par ailleurs notre choix de la proximité géographique. Les économies occidentales ont découvert à leurs dépens, les dégâts des excès de la mondialisation après avoir délocalisé massivement dans des pays très lointains. A travers le Maroc, notre pari sur l’Afrique est de faire profiter aux PME du continent des opportunités offertes par les chaînes de valeur mondiales. D’ailleurs, avec Amethis, nous poursuivons avec succès la levée de 150 millions d’euros pour investir entre autres dans les secteurs de la santé et de l’éducation comme nous nous y étions engagés avant la crise de la Covid-19. La part du lion de ce nouveau fonds est destinée au Maroc.
- Les chefs d’entreprise sont appelés à se réinventer. Dans quels domaines voyez-vous cette remise en question?
- Sur tous les plans, et on ne parle pas ici seulement de changements cosmétiques. Nous devons tous repenser la mission de l’entreprise. On fera fausse route si l’on privilégie toujours la maximisation du profit. Nous devons aller bien au-delà, c’est-à-dire gérer les impacts sociétaux et environnementaux sur toutes les parties prenantes, assurer la pérennité de l’entreprise pour plus de résilience, subvenir aux besoins vitaux des populations, etc. Il n’est pas normal qu’il y ait tant de déficits d’infrastructures de santé dans la plupart des pays qui affrontent la pandémie du coronavirus.
- Ce discours est-il audible chez les investisseurs en Bourse? Souvent, ils ne regardent que le taux de rentabilité…
- Il est temps d’arrêter cette course à la spéculation et au court terme. A chaque crise, les Etats répondent par plus de dettes, une charge que nous faisons supporter à nos enfants et petits-enfants. La crise des subprimes en 2008 ressemblait à un patient frappé par une crise cardiaque et était circonscrite à la sphère financière. Elle a été traitée avec plus ou moins de succès. Celle du Covid-19 est, elle, beaucoup plus profonde car elle touche l’économie réelle. C’est tout le modèle d’affaires actuel qui atteint ses limites et qu’il convient de revoir. L’on ne devrait plus se baser uniquement sur les ratios financiers, mais développer une vision industrielle pour être plus proches des besoins des populations et leur apporter des solutions concrètes. Ma conviction est que les investisseurs devraient aller au-delà des critères ESG en affectant la même pondération à l’impact et à la résilience de leur projet que celle qu’ils affectent aux risques financiers.
- Beaucoup de PME, qui forment votre coeur de cible, ne pourront pas se remettre de cette crise inédite.
- C’est inévitable. Il faut accepter de restructurer celles dont le modèle d’affaires est dépassé en leur apportant autant que faire se peut de l’accompagnement financier. Mais dans le lot de ces entreprises en difficulté, tout le monde ne pourra pas être sauvé. Il ne faudra pas succomber au piège de l’acharnement thérapeutique. C’est le fonctionnement de toute économie libérale.
Relocalisations: Le Maroc tient une carte en main
Grâce sa proximité avec l’Europe, son choix de miser sur les partenariats à long terme dans les secteurs industriels-automobile, pharmacie, agro-industrie ainsi que son avance dans les énergies renouvelables, le Maroc a une carte à jouer dans la réorganisation qui se dessine dans le système de production mondial. A la faveur de la crise du Covid-19, l’extrême dépendance des entreprises européennes a accéléré la réflexion sur les relocalisations industrielles en Europe. Les gouvernements européens en sont tous arrivés à la conclusion que la mondialisation extrême a atteint ses limites. Le Maroc qui a su se placer comme un hub vers l’Afrique, est bien positionné pour capter une partie de ces relocalisations, affirme Johnny El Hachem, CEO de Edmond de Rothschild Private Equity. «A nous d’améliorer le climat des affaires», complète-t-il car la compétition s’annonce très rude. Le Portugal, l’Espagne et les pays d’Europe centrale sont aux aguets.